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Ce que l’article 49(3) dit de notre constitution

Résumé 

La constitution de 1958 est souvent présentée comme une réponse à une crise politique, mais elle fut aussi un instrument de résolution du conflit algérien. Or une constitution de sortie de conflit peut se jouer des principes démocratiques au nom d’un intérêt supérieur, l’accomplissement de la paix. L’inclusion de l’article 49(3) dans la Constitution répondrait-il à une logique similaire ?

The adoption of the 1958 constitution is often presented as the solution to a political crisis, but it was also an instrument for the resolution of the Algerian war. In fact, a post-crisis constitution might put some democratic principles on the side for the sake of solving of a more immediate outcome such as bringing peace. Did the inclusion of the article 49(3) in the Constitution follow a similar logic?

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Le 29 février, le Premier Ministre Édouard Philippe décida d’activer l’article 49(3) de la Constitution de 1958 afin d’engager la responsabilité du gouvernement sur l’adoption des projets de loi ordinaire et organique instituant un système universel de retraite. Conformément à la constitution, et non sans grande surprise, le projet de loi a été adopté le mardi 3 mars à la suite du rejet des deux motions de censure déposées par les groupes d’opposition. Il n’y a pas lieu de débattre ici à qui revient « la faute » de l’activation du 49(3). Il ne s’agit pas non plus de discuter les autres options constitutionnelles qui s’offraient au gouvernement (cela a été très bien décrit sur ce blog même). Le mal est fait, en quelque sorte, même si, comme le relève le professeur Dominique Rousseau, l’adoption d’un projet de loi à l’Assemblée nationale n’est qu’une étape de la procédure législative. Le projet ne devient texte de loi que si le Sénat l’adopte en termes identiques et que si le Conseil Constitutionnel, s’il est saisi par l’opposition, le déclare conforme à la Constitution. 

Utiliser le 49-3 est-ce un déni de démocratie ? Oui diront certains car il permet à un gouvernement non élu de court-circuiter les débats de l’Assemblée Nationale, organe représentatif de la volonté générale. Non diront d’autres car il est dans la Constitution, or la Constitution étant une constitution démocratique, l’article 49-3 est nécessairement démocratique. 

Il y a pourtant lieu de questionner ce syllogisme qui s’apparente plus un argument d’autorité visant à couper court aux débats, plutôt qu’à un argument rationnel qui permettrait de convaincre de la légitimité du 49-3. Quoi de mieux pour questionner un argument d’autorité que de remonter à l’origine de cet argument, c’est-à-dire, dans le cas qui nous intéresse, de revenir à l’été 1958, moment où la Constitution fut écrite et adoptée. 

Constitution post-conflit et constitution post-crise

L’étude de la transition constitutionnelle de 1958 – c’est-à-dire le passage de la constitution de la quatrième République à la constitution de la cinquième République – peut s’analyser sous l’angle de l’objectif de la constitution. Un pays se dote d’une nouvelle constitution rarement par fantaisie mais plutôt par nécessité, afin de répondre à une situation socio-politique particulière. Une transition constitutionnelle peut s’appréhender sous l’alternative suivante : soit la constitution vise à mettre fin à une crise politique, il s’agit d’une constitution post-crise, soit la constitution vise à mettre fin à un conflit, il s’agit d’une constitution post-conflit. La distinction entre constitution post-crise et constitution post-conflit est primordiale car l’objectif de la constitution change en fonction de son contexte d’adoption. 

Dans un contexte de crise politique, la constitution post-crise a pour objectif principal d’améliorer les pratiques démocratiques et la légitimité des institutions sur le temps long. Une constitution post-crise recherche la stabilité démocratique. Cette stabilité se reflète avant tout dans les choix institutionnels (division et équilibrage des pouvoirs, affirmation des droits politiques) mais aussi dans le processus constituant. Généralement une constitution post-crise est écrite sur le temps long afin de favoriser l’émergence d’un consensus et par des acteurs représentatifs de la société, afin de faciliter son acceptation par la population. 

La constitution post-conflit vise aussi à corriger une défaillance démocratique mais qui n’attrait à la représentation démocratique. Une constitution post-conflit est adoptée dans un contexte de conflit armé, où un État défaillant n’est plus à même d’assurer la sécurité de sa population. L’objectif est le rétablissement de la paix et de la sécurité du territoire. Une constitution post-conflit recherche l’efficacité parfois aux dépends de certains principes démocratiques. Cela se reflète dans des choix constitutionnels particuliers comme la constitutionnalisation de l’État d’urgence, la mise en œuvre d’une justice exceptionnelle, ou la concentration des pouvoirs dans une personnalité charismatique (sa légitimité n’est pas légale). Le processus constituant est également spécifique : le temps de rédaction est plus court, les rédacteurs ne sont pas démocratiquement élus et la constitution est écrite par un organe restreint et qui travaille en secret. La constitution souffre d’un défaut de légitimité démocratique qui peut être compensé en partie par son adoption via référendum, ou par son remplacement une fois que l’objectif de paix a été rempli. 

Ces deux distinctions sont des idéaux-types mais qui sont vérifiés par des situations concrètes. Ainsi la constitution tunisienne de 2011 est une constitution post-crise visant à légitimer les institutions après la dictature de Moubarak, alors que la constitution afghane de 2004 est une constitution post-conflit, adoptée à la suite de l’invasion américaine. 

Quelle est la nature de la constitution de 1958 ? Une constitution post-crise ?

La constitution de 1958 peut être considérée comme une constitution post-crise. Elle fait suite à la faillite de la quatrième république et répond au besoin, selon les mots de De Gaulle, « d’assurer que les autorités publiques aient l’efficacité, la stabilité et la responsabilité, qui leur faisait défaut sous la troisième et la quatrième ». Michel Debré, dans son discours devant le Conseil d’État, tenait les mêmes arguments. Au niveau du contenu, la Constitution de 1958 peut effectivement se lire comme une constitution post-crise. Elle instaure un parlementarisme rationalisé avec une assemblée nationale seule représentante de la volonté populaire. Le chef d’État « arbitre » est indirectement élu et est doté des pouvoirs régaliens. Le premier ministre et le gouvernement sont responsables devant l’Assemblée Nationale qui peut être dissoute afin d’éviter les revers de l’instabilité gouvernementale. Enfin un Conseil Constitutionnel est garant de la stabilité démocratique en tant que gardien des élections et du domaine de la loi. 

La constitution de 1958 est également une constitution post-crise de par sa procédure d’adoption. L’adoption de la constitution de 1958 est souvent résumée par le retour au pouvoir de De Gaulle, qui aurait profité de la crise algérienne pour provoquer un coup d’État constitutionnel et imposer sa vision de la constitution. Or, l’adoption de la constitution de 1958 fut tout à fait respectueuse du cadre constitutionnel de l’époque. Il ne s’agissait pas d’une procédure exceptionnelle mais d’une application de la procédure d’amendement prévu par la constitution de 1946. Le 1 juin 1958, De Gaulle fut investi Président du Conseil par un vote de confiance de l’Assemblée Nationale. Le 3 juin 1958, la même Assemblée adopte une loi constitutionnelle qui permet l’adoption de la constitution de 1958. De Gaulle avait cœur de respecter la procédure constitutionnelle comme il l’affirma le 4 septembre 1958 lors de la présentation du projet au peuple français

Donc l’article 49(3) s’inscrit dans une logique de démocratisation des institutions politiques françaises. Il ne s’agirait ni plus ni moins d’un instrument de contrôle qui œuvre à la stabilité institutionnelle afin d’assurer un bon équilibre des pouvoirs entre un gouvernement qui a l’initiative partagée de la loi et une Assemblée Nationale qui discute la loi. L’objectif est la stabilité et l’efficacité démocratique. 

Ou une constitution post-conflit ? 

La Constitution de 1958 peut aussi s’analyser comme une constitution post-conflit. Son processus constituant peut en témoigner. Aucune consultation populaire ne décida de l’abolition de la Constitution de la quatrième république. La constitution fut écrite en moins de trois mois par De Gaulle et quatre de ces ministres, et avec pour seul contre-pouvoirs un comité constitutionnel consultatif et l’avis du Conseil d’État. Aucun de ces rédacteurs n’étaient élus et il n’y a que l’adoption de la constitution via référendum en octobre 1958 qui puisse pallier en partie l’absence de légitimité démocratique du processus. 

Surtout, le contenu de la Constitution de 1958 laisse à penser que certains instruments constitutionnels servaient non pas un objectif de démocratisation mais un objectif de résolution de conflit. C’est le cas du contrôle de la politique extérieure et de l’armée par le Président de la République qui devint chef de l’armée. Ou encore du référendum de l’article 11 qui permet d’adopter une loi sans passer par le Parlement ou l’article 12 qui permet au Président de la République de dissoudre l’Assemblée en cas de motion de censure contre le gouvernement. Ce même Président de la République préside le Conseil des Ministres, il peut décider sans contrôle de l’activation de l’article 16 (état d’urgence). Malgré ses pouvoirs exceptionnels, il ne peut être destitué par le Parlement qu’en cas de haute trahison. Le Président de la République, à l’époque personnalité non directement élu, s’apparentait bien plus à un chef d’État-major qu’à un chef d’État démocratique. 

La constitution de 1958 brille par son absence d’un catalogue de droits fondamentaux, alors même que la plupart des pays européens de l’époque s’en étaient doté. Surtout, les débuts de la constitution de 1958 (entre le 4 octobre 1958 et le 21 décembre 1958) sont marqués par une suspension du Parlement (ancien article 90) et par un pouvoir législatif absolu du gouvernement pour « prendre en toutes matières les mesures qu’il jugera nécessaires à la vie de la Nation, à la protection des citoyens ou à la sauvegarde des libertés » (ancien article 92). L’on peut donc se demander si l’inclusion de l’article 49(3) ne suivait pas la même logique : mettre le Parlement au pas au nom d’un intérêt supérieur, la sécurité nationale.

La constitution de 1958 mit en œuvre un appareil constitutionnel au service de la paix et de la stabilisation.  Les décisions politiques prises en 1958 et 1962 le confirme notamment avec le Plan Challe de février 1959 qui envoya plus de 400 000 hommes en Algérie ou l’activation des pouvoirs exceptionnels de l’article pendant plus de cinq mois. Ce n’est qu’en mars 1962 et la signature des accords d’Évian que la recherche de légitimité démocratique pris le pas sur l’établissement de la paix. Cela marqua le début d’une nouvelle ère pour la constitution de 1958 : élection au suffrage universel direct, inclusion des droits fondamentaux dans la constitution, droits garantis à l’opposition – en somme la recherche de la légitimité démocratique. 

Désacraliser la constitution pour mieux se l’approprier 

Revenir au contexte d’adoption de la constitution permet d’abandonner l’argument d’autorité au bénéfice d’un argument de rationalité sur l’usage du 49(3). Cela permet aussi de désacraliser le rôle des constituants, à commencer par De Gaulle, qui n’étaient pas uniquement muent par une volonté de démocratisation du système politique français. Cela permet enfin de repenser certains de nos instruments constitutionnels pour œuvre à leur amélioration. Car si un objet est désacralisé (disons le 49(3)), on peut se permettre de le critiquer, de l’abandonner ou de l’améliorer, comme cela fut le cas en 2008 avec l’adoption de la procédure législative programmée. Revenir au contexte d’adoption c’est aussi repenser notre relation commune au système constitutionnel français, c’est, en quelque sorte, œuvrer au développement d’une culture constitutionnelle élargie qui ne se limite pas au 49(3) mais qui inclue le rôle du Conseil Constitutionnel, la protection des droits fondamentaux, etc. 

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